Je n'ai pas entendu d'annonce, beaucoup de soignants préviennent de leur entrée en chambre, et là, c'est la lumière de la salle de bain qui s'est allumée.
La nuit est bien engagée, un chevalier en armure de papier, masque, lunettes de protection, blouse en tissu, surblouse de plastique, et gants était là ! Au dessus de moi.
Irruption nocturne !
Je me sépare des bouchons d'oreille.
Elle a changé ma perfusion et scotché le tuyau d'entrée dans le bras dans l'axe pour que l'entrée du liquide se fasse même avec le poignet plié. Pour cela elle a sorti, un rouleau de sparadrap de dessous les armures, et au moyen d'un stylo, sorti d'une autre poche, relancé la circulation vers les veines, des produits transfusés.
Je suis objet de soins, et j'aime redevenir sujet. Non, je n'ai pas trop mal !
Je constate que les deux soignantes de nuit sont toujours beaucoup plus protégées que les soignantes de jour, la nuit les choses peuvent basculer plus facilement. Les nouveaux chevaliers des temps de la covid sont en action. Elles se constituent des boucliers et des armures pour se protéger dans le combat engagé.
Et le chevalier est une dame, elle a appelé l'interne de garde pour la dame qui interpelle par un lancinant "j'ai mal j'ai mal j'ai mal" Je me suis rendormi jusqu'à 5heures, et j'entend l'interne qui pense à des calculs dans les reins ou la vessie pour la dame, je suis soulagé qu'une partie de cette souffrance soit prise en compte...
Vocabulaire guerrier
Pour le pipi au pistolet, nous sommes entrain de glisser vers un urinal, pour contenir mes efforts de miction en position allongée. Cependant, je crois que la structure support en métal peint, celui que je me suis vu allouer, va resté un support de pistolet, au vu de la rouille et des déformations encaissées par les chutes, les passages sous chariots, et autres duels. Il n'est pas apte au nettoyage du vocabulaire guerrier. Faire pipi dans un pistolet, c'est toujours mieux que de manger un plat et de le qualifier de tuerie, bon à l'hôpital : tu peux rêver !
Les visites sont interdites, mais Francine vient m'apporter des affaires et je la rejoins d'abord au relais H, c'est le seul lieu que nous connaissons où l'on a pu boire un pot pendant le confinement, jusqu'à17h.
chanson : Thé café chocolat biscuit, valium tranxène nozinan neuleptil
Même la police est venue, pour boire un coup, rassembler les chaises autour d'une table à 8, rappel des habitudes de bistrot autour de la convivialité. Les flics voulaient rassembler les tables mais cela a été tempéré en interne. Nous n'étions pas loin du ballon de rouge et du demi pression, le printemps reviendra !
Puis, le lendemain le relais H a dû fermer sa salle, sur ordre de la direction. Donc café et thé dans les couloirs de l'hôpital, avec pour moi un bras en écharpe, l'autre avec des perfusions et une potence qui ne roule pas bien. Tiens ? "potence" ! pendu, impotence, omnipotence, potentiel.
Un séjour hospitalier c'est ne pas avoir affaire juste à du matériel high tech, celui-ci qui avait été performant a pris de l'usure avec les années de service. La potence avec son étoile à 5 branches munies de roulettes de siège de bureau a du vécu, le plot en métal qui leste l'embarcation est boursoufflé par la rouille. L'inox du tube et des crochets a quant à lui bien vieilli. Donner une trajectoire à cet engin oblige à jouer avec la force, la vivacité d'esprit et la prise en compte de l'irrationnel.
Pourtant la potence sur roulette, signe la fin de l'alitement en retour d'opération, la potence c'est un air de liberté. Enfin un air de liberté intermédiaire puisque ça limite les sorties, je me vois mal marcher dans le Rebberg, je me contente de quelques couloirs d'hôpital.
Assis sur les sièges de rebord de fenêtre, Francine et moi voyons un homme sortir de l'ascenseur, avec une potence rutilante, inox et roulettes plus grandes et une poignée pour la guider.
Attaque et vol : "passe-moi ta potence et tant qu'on y est :ton portable et tes grôles!"
"Pour un vol de potence, on risque la guillotine" ?
Parfois ça me laisse pantois... et sa
sonorité effrayante.
Merci Guy pour ce morceau de musique de chambre pas très classique.
RépondreSupprimerOui,merci :
pour ces moments de vie partagée saisi et transcrits sur carnet
... des personnes qui ont passé l’âge d’être turbulents ...comme des grands enfants qu’ils ne reviennent donc pas au niveau physique.
Ou ce nouveau " covidalisme "
Et cette compliance que je découvre, merci.
de même pour cet ajout envisagé de boules quiès à la liste des "munitions".
potence , impotence ....bien vu Guy, et bien dit.
Pour cette.. gestion de la trajectoire avec force, vivacité d’esprit et prise en compte de ll’irrationnel , potence à 5 étoiles marqué de rouille et de traces de chocs..chapeau Guy, je la vois.
Et ce .... vol de potence et de grôle...à des airs très plaisants de rimes de Renaud
Et donc le triangle sert à se hisser,moi qui croyais que c’était un triangle d’orchestre pour "donner le La" à toutes ces opérations cliniques!
Merci Guy, pour ce moment.
Claude
Bonjour Guy,
RépondreSupprimerQuel récit,l'envers du décors, de jour comme de nuit,sacré partage !
Bon rétablissement.
Corinne et Pascal
Merci Guy, pour cette lecture. .
RépondreSupprimerA te lire je ressens l'ambiance d'un service à l'hôpital. J’ai des souvenirs qui remontent
,,,,Il y avait un peu plus d'humanité à l’ époque.. C'est une bien triste réalité..
laisse ta potence rouillée là où tu l'as quitté,
Et prends un bâton de pèlerin pour continuer ta route
Mayo
J'admire toujours autant ta façon de jongler avec les mots et les images. MERCI pour ces partages.
RépondreSupprimerQuel dommage qu'il ait fallu tant de maux pour cette petite musique de chambre pas classique!
Ces cris, l'impuissance face à la souffrance et ces réveils nocturnes par les soignants, m'ont également rappelé des souvenirs refoulés depuis quelques années ( covid en moins, urgence pédiatrique en plus, avec des enfants qui appellent leur mère toute la nuit).
J'espère qu'avec le temps la musique adoucie tes douleurs.
Prends soin de toi.
Si un jour tu publies un livre, j'en veux un exemplaire dédicacé.